Sémiologie sonore pour l'analyse spatiale et la représentation cartographique
Directeurs de thèse : JOSSELIN Didier & ALTMAN Eitan
Membres extérieurs du comité de thèse : BONIN Olivier , BRESSON Jean
1. Laboratoire d'Informatique d'Avignon (LIA), Avignon 2. IFSTTAR – AME-LVMT Champs sur Marne, Marne la Vallée 3. UMR ESPACE, Avignon didier.josselin@univ-avignon.fr 4. IRCAM, Paris 5. INRIA, Sophia-Antipolis
MOTS-CLÉS : CARTOGRAPHIE, MUSIQUE, GEOMATIQUE, ANALYSE SPATIALE, COMPOSITIONS, PARTITIONS
Résumé : La recherche proposée consiste à poser les fondations d'une sémiologie pour la représentation cartographique qui ne soit plus basée exclusivement sur la graphique, mais sur le son, voire la musique au sens large. Cette recherche est fondamentale puisqu'elle doit appréhender la dialectique entre la méthodologie cartographiquee et la théorie de la musique, en appréhendant ce que la carte apporte à la musique et réciproquement, en dégageant les différentes dimensions partagées par les deux approches. Potentiellement, elle a aussi une portée pratique, puisqu'elle peut, d'une part, améliorer la compréhension de la lecture de la carte en ajoutant l'audition à la vue dans les processus d'analyse spatiale de données géographiques. Elle peut, à terme, déboucher sur des applications de reconnaissance dynamique d'environnement par des personnes malvoyantes ou à mobilité réduite, via les cartes mentales. Ce sujet de recherche est ouvert à différentes disciplines, comme la géographie (géomatique notamment), les sciences de l'information et de la communication, musicologie, sciences cognitives.
1. Contexte et rationalité
Depuis les travaux précurseurs de J. Bertin (1975) en sémiologie graphique, la cartographie a largement évolué (Escobar et al., 2008) sur deux aspects en particulier : l'interactivité et l'accessibilité en ligne. On parle depuis quelques années de cartographie en mouvement (Mac Eachren, 1995, Josselin & Fabrikant, 2003), c'est à dire animée, multimédia (notamment en ligne) ou interactive (Cartwright et al, 2007).
La cartographie peut être descriptive, dans le sens où elle sert à observer des phénomènes se déroulant dans le temps. Mais elle devient rapidement exploratoire, voire se dote d'un pouvoir explicatif, par la capacité de ses outils à mettre en interaction différentes dimensions ou points de vue. À ce titre, l'analyse spatiale exploratoire (Andrienko, 2006) s'est largement développée et ouvre de vastes horizons scientifiques, technologiques et d'usage. En lien direct avec les cartes et la géographie, les graphiques et les indices statistiques constituent en effet autant de résumés des données, prises dans leur ensemble ou via des sélections appropriées. Ces méthodes d'analyse constituent de puissants outils d'investigation ou de fouille de données spatiales.
Dans les outils de cartographie, le recours à la dimension visuelle des représentations statistiques reste prégnant. Cependant, d'autres voies complémentaires existent, tels que le son ou la musique. Par exemple, le mouvement du « soundscape » (paysage sonore) utilise les ambiances sonores pour donner du sens aux lieux et aux environnement (Murray Schafer 1969). D'autres auteurs proposent de simples cartographies des sons (Schiewe & Kornfeld 2009). Dans ce cas, les « signatures sonores » marquent et caractérisent les lieux de façon explicite. Toutefois, elles ne sont pas utilisées pour mettre en évidence des discontinuités, des gradients ou des structures dans l'espace (de mobilité, par exemple). Pourtant, l'association des capacités cognitives visuelles et auditives ne peut qu'améliorer notre capacité à analyser les données géographiques, d'autant plus lorsqu'elles sont complexes. L'utilisation de représentations spatiales et de calculs spatiaux pour les structures musicales est ainsi un domaine en plein essor. On pourrait étudier le problème inverse : à partir d'une structure spatiale extraite d'une carte ou d'une image, reconstituer les contraintes musicales (harmoniques, mélodiques, rythmiques) associées. On serait alors dans une démarche d'aide à la composition musicale (Adhitya and Kuuskankare, 2012). Par le biais de règles prédéterminées ou avec l'assistance d'un utilisateur, on pourra aller jusqu'à la sonorisation d'images ou de cartes. Au-delà de cet objectif, le rapprochement entre analyse musicale et analyse spatiale privilégie souvent un sens : les représentations musicales s'enrichissent de représentations spatiales. Enrichir le domaine de l'analyse spatiale par des techniques issues de l'analyse musicale est une perspective intéressante et complémentaire. Cette thèse s'inscrit dans cette seconde approche.
2. Orientation de la thèse
2.1. Objectifs
À notre connaissance, il n'existe pas aujourd'hui de sémiologie sonore éprouvée et consensuelle permettant de réaliser un lien symbolique non équivoque entre représentation sonore et représentation cartographique. Existe-elle in fine ? Quelles en sont les dimensions ? Comment la construire et avec quelles méthodes ? C'est tout l'enjeu de ce sujet de thèse, à l'interface entre les sciences de la communication, la géographie et la géomatique, la musicologie et les sciences cognitives. À l'instar des travaux de Bertin sur la sémiologie graphique et sur tous ses développement consécutifs, cette thèse doit permettre de poser les bases d'une sémiologie sonore dédié à la représentation et à l'analyse spatiales.
Les objectifs généraux de cette recherche sont :
• d'évaluer en quoi et de quelle façon le son peut apporter une amélioration des méthodes d'analyse spatiale ; • de rechercher, dans la théorie de la musique, ce qui est mobilisable pour représenter des portions typiques et structurées (patterns) d'espaces géographiques ; • d'appréhender l'aspect numérique et mathématique de la musique pour tenter de poser les bases d'une sémiologie sonore signifiante (pour une culture musicale donnée) ; • de réfléchir aux méthodologies informatiques permettant le dépôt ou l'exploration des cartes et d'images géographiques par les utilisateurs.
2.2. Des dimensions partagées par la carte et la musique
La/le doctorant(e) devra appréhender la musique à travers diverses composantes intéressantes pour l'analyse spatiale (non exclusives) :
• Composantes sonores : intensité (puissance, vélocité, latence), hauteur/degré (fréquence, longueur d'onde, période), timbre (perception, émission, grain) ;
• Composantes de partition : durée, tempo, séquence rythmique, partition graphique contrainte (portée, mesures, systèmes) ou non (continuités de représentation) ;
• Composantes harmoniques : accords, gammes, tonalités, modes ;
• Composantes libres : interprétation, orchestration (taille, instruments), improvisation, « sound-painting », enregistrement et apprentissage dynamiques, adaptation du musicien au contexte.
Elle/il devra mettre en regard ces composantes avec la carte, qui peut ainsi entrer en résonance avec ces différentes dimensions :
• Composantes sonores : la description des observations spatiales et de leurs attributs ;
• Composantes de partition : aspects temporels de l'analyse spatiale permettant de gérer des séquences d'exploration des cartes ou des phénomènes dans le temps ;
• Composantes harmoniques : les patterns spatiaux (structures et associations spatiales) peuvent correspondre à une dimension compositionnelle pour identifier et construire des objets composites dans l'espace géographique ;
• Composantes libres : un cheminement (festif ou flâneur) de l'explorateur dans l'espace de représentation ou l'espace géographique peut constituer un espace de liberté et d'interprétation.
3. Déroulement de la thèse
D'une part, les approches méthodologiques mobilisables dans ce projet sont largement ouvertes. Elles dépendront du profil du / de la candidat(e), qui pourra être issu(e) des différentes disciplines : géographie, géomatique, sciences de l'information et de la communication, musicologie, culture et communication, sciences cognitives.
D'autre part, la thèse se déroulera en trois phases :
Un premier volet, assez théorique (état de l'art), consiste à recenser les différentes caractéristiques de la musique et en extraire celles qui peuvent constituer des références sémiologiques sonores ou musicales. On pourra ici s'appuyer sur les théories (autour) de la musique et sur les dimensions de l'analyse spatiale.
Un second volet, méthodologique, permet de construire des protocoles expérimentaux robustes pour évaluer/valider ces références afin de dévoiler ce que le son ou la musique produits suscitent en termes d'objets géographiques dans un contexte culturel donné (ancrage des symboles, aspects cognitifs).
Un troisième volet, plus technique, vise à mettre en oeuvre une cartographie sonore dans un environnement cartographique standard (Système d'Information géographique interfacé à des outils d'analyse musicale), reposant sur les conclusions des deux premiers volets.
Dans tous les cas, le/la candidat(e) devra être très intéressé(e) par le domaine de la musique, être capable d'appréhender des applications informatiques simples (musicales et cartographiques) et de faire coopérer des logiciels de musique et de cartographie en parfaite interopérabilité. La pratique ou la connaissance approfondie de la musique serait un plus.
4. Modalités
Les candidat(e)s doivent contacter rapidement Didier Josselin pour présenter leur profil, leur motivation et la façon dont ils pensent appréhender ce sujet de thèse : didier.josselin@univ-avignon.fr (04 90 84 35 74 ou 06 07 40 69 38). Didier Josselin est directeur de recherche en Géomatique à l'UMR ESPACE et chercheur associé au LIA. Eitan Alman est directeur de recherche sur les Réseaux à l'INRIA/LIA.
Les candidatures d'étudiant(e)s diplômé(e)s ayant des déficiences physiques (mal-voyance ou handicap physique) seront étudiées en priorité sur le projet et en exclusivité pour l'appel spécifique à bourses de thèse du Ministère fléché « handicap ». Elles doivent contacter Didier Josselin impérativement avant la fin du mois de Mars.
Les autres candidat(e)s peuvent postuler sur la bourse de thèse Agorantic après avoir également contacté D. Josselin : http://ed537.univ-avignon.fr/.
La thèse sera réalisée au sein de l'ED 537 Culture & Patrimoine en Géographie (SHS). Deux laboratoires de l'Université d'Avignon seront impliqués : UMR ESPACE et LIA. Les laboratoires IFSTTAR et IRCAM sont partenaires du projet de recherche englobant (CartoMuse). Une cotutelle peut être envisagée selon les profils et souhaits des candidat(e)s.
5. Bibliographie indicative
Alayrangues Sylvie, Daragon Xavier, Lachaud Jacques-Olivier, Lienhardt Pascal (2008). Equivalence between Closed Connected n-G-Maps without Multi-Incidence and n- Surfaces, Journal of Mathematical Imaging and Vision, Volume 32 Issue 1, pp. 1 – 22, Kluwer
Adhitya1 Sara and Kuuskankare Mika (2012). SUM: from Image-based Sonification to Computeraided Composition, 8 pages, CMMR, 2012, London
Andrienko N. & Andrienko G. (2006), Exploratory Analysis of Spatial and Temporal Data: A Systematic Approach, Springer.
Bertin J. (1975), La Graphique et le traitement graphique de l'information, Paris, Flammarion.
Cartwright W., Peterson M.P., Gartner G. (Eds) (2007), Multimedia cartography, Springer.
Escobar Francisco, Cauvin Colette, Serradj Aziz, (2008), Cartographie thématique en 5 volumes (volume 1. Une nouvelle démarche. la cartographie, discipline scientifique en évolution; volume 2. Des transformations incontournables. une permanence : la transformation sémiotique; volume 3. Méthodes quantitatives et transformations attributaires. de la description à la généralisation d'une variable attributaire z; volume 4. Des transformations renouvelées. transformations cartographiques de position; volume 5. Des voies nouvelles à explorer. les révolutions technologiques et leurs conséquences conceptuelles et pratiques). Hermès-Lavoisier, Traité IGAT Série Aspects fondamentaux de l'analyse spatiale
Josselin D. & Fabrikant S. (Eds) (2003), N° spécial « cartographie animée et interactive », vol. 13, n°1/2003, Revue Internationale de Géomatique, Hermès, Lavoisier, Paris.
Josselin D. (2011), Spatial analysis using sonorous cartography. Some propositions, ICC'2011, Paris, 3-8 July 2011.
Josselin D. (2005), Interactive Geographical Information System using LISPSTAT : prototypes and applications. Journal of Statistical Software. Volume 13, Issue 6
Mac Eachren A. (1995), How Maps Work: Representation, Visualization, and Design, Guilford Press, NY.
Murray Schafer R. (1969), The New Soundscape, Don Mills, Toronto.
Schiewe J., Kornfeld A.-L. (2009), Framework and Potential Implementations of Urban Sound Cartography, 12th AGILE International Conference on Geographic Information Science 2009, 8 pages.
Tymoczko Dmitri (2012). The Generalized Tonnetz, Journal o f music theory, 56:1, pp. 1-52. |